HÉLÈNE TROCMÉ-FABRE

Apprendre aujourd'hui, dans une Université apprenante


"Il n' y a pas de vent favorable pour celui qui ne sait où il va" [1]

Cette phrase a une résonance toute particulière lorsqu'on fait l'état des lieux des situations éducatives aujourd'hui, et en particulier lorsqu'on s 'interroge sur le rôle de l'Université. Pour ma part, je me demande si les difficultés rencontrées par les Universités aujourd'hui ne sont pas le prix que l'Ecole, dans son ensemble, paie pour avoir confisqué l'acte d'apprendre depuis trop longtemps, et pour avoir, par un enseignement simplifiant, rendu la pensée complexe inaccessible à l'apprenant dans un contexte en pleine mutation .

Mais ces pages n'ont pas pour objectif de dresser un réquisitoire ni d'ériger un tribunal pour y faire comparaître une Université en panne de sens. Beaucoup trop d'énergie et de temps ont déjà été dépensés pour s'enfoncer dans le marécage de la déploration et y rester complaisamment. Ce qui me paraît plus efficace - et efficient, donc moins coûteux - c'est de tenter de clarifier certains concepts-clés, à la lumière des idées-forces qui ont présidé au changement de regard, puis au changement de comportement et de langage, dans la pratique pédagogique que je propose en partage.

Notre paysage universitaire

Il peut sembler insolite d'aborder la problématique de l'acte d'apprendre en milieu universitaire alors qu'un cursus scolaire antérieur a abouti à la validation d'un examen de fin d'études. Et pourtant, trop nombreux sont les étudiants qui quittent l'Université trois mois après y être entrés, abandonnent à la fin de la première année, sortent sans validation monnayable sur le marché du travail, avec, pour tout bagage, la représentation d'un acte d'apprendre mutilé. Parmi les étudiants qui poursuivent un cursus universitaire, nombreux sont ceux qui confondent apprendre et reformuler un savoir constitué, assimiler un contenu, un programme... Bien peu sont en mesure de maîtriser une approche méthodologique qui les aiderait à avoir le discernement nécessaire pour adapter ce qu'on leur a enseigné [2] .

Les enseignants se plaignent que les étudiants, qui partagent l'obsession du résultat et de la performance de notre époque, "ne s'intéressent qu'aux notes et ne cherchent pas à comprendre". Mais de quel type de compréhension s'agit-il ? Quelle est la réalité que l'Université propose d'explorer ? De quel savoir s'agit-il et quelle est la responsabilité des différents partenaires vis-à-vis de ce savoir ? Pour quelle éthique ? Quel est donc l'enjeu ? Comment articuler le noyau que constitue la tâche de recherche aux fonctions de formation, de critique sociale et culturelle ? Quelles relations pédagogiques créer, c'est-à-dire, quels "comment s'y prendre ?", quels "comment être ? ", quelle Charte inventer pour accompagner les étudiants dans un parcours cohérent, pour former les acteurs du futur, selon l'expression de J. Delors ?

Il est donc urgent de clarifier auprès de tous les partenaires de la situation d'apprentissage (étudiants, enseignants, responsables institutionnels, comman-ditaires) ce que nous pouvons mettre, à la fin du XXème siècle, sous le mot "apprendre", et engager l'institution éducative, et l'Université en particulier, à exister d'une manière nouvelle, à s'inscrire dans une véritable dynamique, celle d'une recherche de sens et d'un partage de signifiance [3].

Il est essentiel, en effet, que tous reconnaissent que l'acte d'apprendre est mutilé par l'immense fossé existant entre les ressources des différents partenaires de la situation cognitive propre à l'Université, d'une part, et, d'autre part, les résultats académiques, les retombées professionnelles et sociales du temps et de l'énergie investis à l'Université. Urgent et essentiel que le monde éducatif, et les enseignants reconnaissent le besoin de formation concernant notre réalité cognitive , et surtout l'importance d'un véritable questionnemen t sur la nature de notre vie cognitive, le rôle de la mémoire, de la perception, de l'attention, de l'imagination, et des différents langages (verbal, affectif, imagé...) dans les processus d'apprentissage....

Le contexte de notre monde contemporain se caractérise par une profusion de moyens technologiques côtoyant l'extrême pauvreté de la réflexion sur les conséquences de l'emballement technologique et l'accélération de la vitesse des échanges . Notre sensorialité - fruit de notre organisation cérébrale - est confrontée sans cesse à de nouveaux types de "couplage" à l'environnement [4], dans un contexte auditif et visuel en constante (r)évolution. Les habitudes de téléprésence [5] écrasent le temps et l'espace, c'est-à-dire modifient considérablement le rapport à soi-même et aux autres. Notre regard sur le monde est maintenant forgé par ce couplage, à bout portant, dans la violence de l'ici, maintenant et là-bas, qui est la trouvaille des prothèses visuelles et auditives proposées par la téléprésence . Dans ce contexte, l'enseignement universitaire reste étrangement semblable à lui-même, abstrait, verbal et théorique... Les adultes en reprise d'études s'étonnent de trouver autant de rigidité dans la culture universitaire, rigidité côtoyant un flou étonnant autour de certains concepts tels que ceux de compétence , autonomie , projet ...Le pourcentage d'abandons, d'échecs, et de parcours interrompus est trop élevé, tout le monde en convient. J'ai cherché, pour ma part, à repérer les facteurs de ce qui est considéré comme un "échec" par le langage commun [6].

Un sondage auprès d'étudiants et d'enseignants a révélé que le facteur n°1 de l'échec est, à leurs yeux, le manque d'organisation . Viennent ensuite le manque de travail, le manque de mémoire, l'incompréhension des consignes, la méconnaissance de l'objectif à atteindre...

Pour les uns et les autres, l'échec est explicable par une relation de cause à effet. La notion de contexte est absente de leur analyse. Il est vrai que, de part et d'autre, la préférence est donnée au contenu, donc au prêt à-penser, au prêt - à - dire, au prêt - à - faire, et à l'évaluation quantitative. Mais dans quelle mesure une quantification peut-elle rendre compte de capacités cognitives... ?

A ce jeu, l'Université court le risque de donner l'image d' un supermarché de la théorie et du savoir, voué à la distribution de diplômes, un lieu de tourisme culturel, et non le site où l'étudiant découvre qu'apprendre, loin d'être réservé à l'institution éducative, est un processus qui se poursuit tout au long de la vie , un véritable métier - qui s'ignore d'ailleurs -, un métier où l'on apprend à ne pas sacrifier le long terme au court terme, à se construire constamment, à s'adapter, c'est-à-dire s'organiser, s'auto-organiser et s'engager sur la voie de l'autonomie [7].

Le mot "apprentissage" doit céder la place au mot "apprenance", qui traduit mieux, par sa forme même, cet état d'être - en - train-d'apprendre, cette fonction de l'acte d'apprendre qui construit et se construit, et son statut d' acte existentiel qui, véritablement, caractérise l'acte d'apprendre, indissociable de la dynamique du vivant.

Changer de regard

"L'illettré de demain ne sera pas celui qui n'a pas appris à lire. Ce sera celui qui n'a pas appris à apprendre" [8].

Cette phrase devrait être inscrite au fronton de tout lieu éducatif, et constituer une idée-force pour l'Université, une pierre angulaire sur laquelle construire d'urgence une Université plus cohérente, plus pertinente, plus efficace.

C'est sur le terrain de l'apprentissage d'une langue étrangère, à l'Université de La Rochelle, que j''ai pu discerner tout l'intérêt d'éclairer les étudiants sur leur potentiel cognitif, sur les représentations très pauvres qu'ils avaient de l'acte éminemment complexe qu'est l'acte d'apprendre, sur les exigences de notre vie cognitive et de son substrat biologique, notre cerveau.

Ayant eu accès, dès 1975, aux recherches en neurosciences qui concernaient le cerveau humain, non pathologique, in vivo et in situ (ce qui permet d'éviter les déductions risquées des travaux portant sur les cerveaux de singe ou de rat...), j'ai cherché à établir une passerelle entre les neurosciences et la pédagogie [9].

Grâce à la convergence de l'apport de la linguistique, de la systémique, de la Sémantique Générale et des sciences de la vie, dans un va-et-vient constant entre la recherche, la réalité de l'apprenant-en-train-d'apprendre et son accompagnement pédagogique, j'ai pu montrer aux étudiants que chaque acte que nous faisons est, en réalité, l'actualisation - réussie ou non par rapport à une norme - d'un potentiel immense, qu'il s'agit d'explorer et de mieux connaître, afin de devenir non seulement acteurs mais auteurs de nos apprentissages.

Lorsque l'enseignement de la complexité et des lois du vivant prennent la première place, l'acte d'enseigner à apprendre devient tout autre. Celui qui enseigne à apprendre une langue, par exemple, ne peut plus ignorer qu' un élément de la langue perd toute signification s'il est isolé de son contexte. Un son extrait du cadre morpho-lexical ou du phrasé intonatif, un mot extrait du cadre syntactique... ne peuvent donner à l'apprenant qu'une vision déformée des relations de la pensée, de la langue et du réel. Cette attitude simplifiante complique considérablement l'émergence du sens que l'étudiant recherche avant tout.

La croyance - très répandue - que l'information existe en soi, que le sens est une entité à laquelle on accède et que l'on peut transférer - doit céder la place à des concepts plus proches du fonctionnement de notre réalité cérébrale. L'apport de la neurobiologie, des sciences cognitives et des sciences de la complexité nous permet de proposer les concepts dynamiques de couplage, d'émergence, d'interdépendance, d'interaction, d'auto-portance [10].

L'heure est venue de créer une interface, ouverte et flexible, entre des domaines jusque là jalousement cloisonnés. Cette interface ne peut se faire sans une prise de conscience de la part de tous les partenaires, sans un changement de regard, donc de perception et de comportement.

Il s'agit, pour l'Université d'aujourd'hui, de combler une absence : celle d'un espace-temps entre trois types d' expertise : l'expertise du domaine (connaissances factuelles, règles de base, savoir-faire et raisonnements spécifiques...), l'expertise pédagogique (didactique et ingénierie de la formation), et l'expertise du modèle de l'apprenant (opérations mentales en jeu, et "référentiel cognitif" [11] ). Cette interface est le lieu où une véritable ingénierie de l'apprentissage peut être élaborée pour garantir les conditions favorables (et si possible optimales) et faire en sorte que l'acte d'apprendre ait lieu dans un parcours donné, et s'inscrive dans une vie apprenante.


figure


Voir et donner à voir

Je propose que la pédagogie se mette à l'écoute des sciences du vivant.

Ceci signifie qu'il est urgent que la pédagogie tienne compte de la réalité cognitive, des différents temps d'apprendre , des exigences de notre cerveau en matière d'équilibre, de recherche de sens, de connectivité, de flexibilité, d'auto-organisation....

Autre nécessité : que les enseignants reçoivent une formation qui leur permettra de tenir compte, dans leur enseignement, des recherches pouvant les éclairer sur les actes qu'ils attendent de l'étudiant. Qu'ils sachent, par exemple, qu'un acte visuo-moteur (si fréquemment demandé à l'étudiant) est organisé dans et par le cerveau deux secondes avant que l'acte ait lieu ; que la perception (visuelle, auditive, tactile...) est, dans une proportion de 80%, une construction de notre histoire personnelle [12]; que le contexte est indispensable pour faire émerger du sens [13]; que les compétences ne sont ni de l'ordre de l'avoir, ni de l'ordre du faire mais de l'ordre de l'être- qu i- se - sait - en - devenir, qu'elles existent dans la perspective d'un savoir-faire, par rapport à une finalité.

Les compétences participent à et du couplage "potentialisation <-> actualisation", au sens de S. Lupasco [14]. Elles participent donc à l'auto-portance, et doivent être reconnues en tant que telles lorsque le problème de l'employabilité et de l'évaluation se pose .

Enfin, les compétences, parce qu'elles sont vivantes, ne s'évaluent pas en termes quantitatifs... coagulés !

Le partage de ces recherches et de ces réflexions s'imposait.

J'ai donc conçu un matériau de travail, accompagné d'une trame méthodologique, l'un et l'autre destinés aux enseignants et responsables éducatifs. L'objectif de cette double démarche est de permettre aux utilisateurs de reconnaître la complexité de l'acte d'apprendre , ses étapes (ses noyaux durs), ses exigences, ses contraintes, ses libertés, et l'étendue de ses potentialités, sans oublier les pièges à éviter.

Créer une dynamique de recherche participative chez les différents partenaires, proposer une méthodologie pour créer des réponses pédagogiques ad hoc (et non plus acheter ou vendre des recettes), inciter les uns et les autres à quitter une logique unique de résultat et de validation pour entrer dans une logique de recherche de sens, mieux, de partage de signifiance... voilà ce qui me semble une voie possible, dans laquelle l'Université peut s'engager dès aujourd'hui. Oui, mais à une condition : qu'elle attrape le virus de la transdisciplinarité... [15].

Le matériau de travail proposé s'appuie sur l'essai de modélisation de l'acte d'apprendre, exposé dans "l'Arbre du savoir-apprendre" (cf note 11).

Sept films ont été réalisés avec la participation et le témoignage de personnalités du monde scientifique : Boris Cyrulnik, Basarab Nicolescu, Francisco Varela, Albert Jacquard, André de Peretti, Jean Didier Vincent, Bertrand Schwartz [16]. Chaque cassette contient un livret d'accompagnement, proposant une méthodologie ternaire (T moins un, T, T plus un) .

Un état des lieux et un questionnement préalables au visionnement mettent en place une dynamique de lecture ouverte du document filmé. Dix à douze heures de travail autour de chaque film sont ensuite proposées, offrant la pratique de trois outils méthodologiques :

l'auto-positionnement, l'auto-questionnement et l'auto-évaluation, ainsi que des activités d'échange et de partage.

L'objectif de ces vidéogrammes est d'oeuvrer pour que le couple "réussite échec" - aussi infernal en pédagogie qu'en économie et en politique - cède la place au couple "potentiel-actualisation". Cela implique un changement radical dans les représentations, l'émergence de nouveaux concepts, le recadrage de notre langage [17] , la reformulation des problématiques et une nouvelle évaluation.

Cela implique, avant toute chose, une nouvelle définition des finalités, des objectifs, des buts et des cibles éducatives.

L'étudiant apprenant, dans une Université apprenante

Apprendre à l'Université, dans cette optique, signifie que le parcours de l'étudiant est intégré dans son projet de vie et accompagné comme tel.

Accompagner le parcours de l'étudiant implique que l'acte d'apprendre soit placé au centre du système et qu'il fasse l'objet d'une véritable formation pour des enseignants .

Placer l'acte d'apprendre au centre du parcours de l'étudiant implique d'introduire, dès la première année d'études universitaires, l'enseignement de la pensée complexe et de l'émergence du sens .

Enseigner la pensée complexe et l'émergence du sens implique que l'enseignant devienne un pourvoyeur de ressources et apporte le matériau qui permette de faire émerger des questions nouvelles . La connaissance, comme l'explique E. Morin, ne sert pas à dissoudre le mystère mais à le révéler.

L'acte d'apprendre, éminemment complexe, se transforme par le seul fait qu'il actualise une capacité innée, dont l'humanité a hérité, qu'elle transmet et qui constitue son véritable patrimoine, apprendre.

Ce que les hommes ont en commun est donc infiniment plus important que ce qui les sépare .

N'est-ce pas le rôle de l'Université d'enseigner l'acte d'apprendre, de l'enraciner, de l'in-corporer, et le placer dans la dynamique du vivant ?

Il s'agit donc de créer, en amont des ingénieries de la formation et de la didactique, une ingénierie de l'apprentissage , dont l'objectif est d'assurer la cohérence du système éducatif avec la logique du vivant.

Comment s'y prendre ?

En recensant et en organisant, pour y répondre, les besoins, les moyens, les lieux et les temps d'apprendre. En créant les conditions favorables, les méthodologies, les étapes et les réponses techniques permettant de mailler les effets à court, moyen et long terme.

L'ingénierie de l'apprentissage inclut une théorie du fonctionnement mental, des opérations cognitives, de la motivation, du couplage de l'homme et de l'environnement, de sa perception et de son action, et de sa mémoire. L'acte d'apprendre a sa place dans une recherche d'équilibre au sein de l'entreprise d'apprendre. Cet équilibre est à rechercher entre stabilité et mouvement, continuité et changement, l'individuel et le collectif.

L'ingénierie de l'apprentissage postule qu'apprendre ne peut résulter d'un diktat. C'est à chacun de se construire. L'être humain est en constant devenir et en constante recherche d'équilibre. On ne peut pas se construire seul : la médiation et l'accompagnement sont indispensables. Autre postulat : il existe des chemins obligés, imposés par les lois de la complexité et des systèmes, au delà desquels il existe une totale liberté.

L'ingénierie d'apprentissage consiste à rendre à l'apprenant son potentiel d'apprentissage par la mise en place et le respect des étapes du "savoir-apprendre", noyaux durs de notre vie cognitive. C'est dans l'accompagnement de la montée en charge des opérations cognitives vers l'autonomie que se place le rôle de l'enseignant, et, pour tous les partenaires, le respect d 'une Charte, élaborée ensemble, en cohérence avec la réalité cognitive [18] . Cette Charte, une fois élaborée, doit être traduite en actes d'apprentissage et en actes d'enseignement. Elle précise ce qui revient à l'apprenant et ce qui revient à l'enseignant, à chaque étape du savoir-apprendre.

Le rôle de l' ingénierie de l'apprentissage est d'éviter les dysfonction-nements, d'explorer et d'identifier les potentialités de l'apprenant, de repérer les contraintes auxquelles il est soumis, d'organiser et gérer la hiérarchie des "couplages" pertinents avec l'environnement, de replacer l'acte d'apprendre au plus près de ses racines biologiques, de trouver l'équilibre entre la double nécessité d'adapter // intégrer d'une part, et changer - // continuer d'autre part.

L'ingénierie d'apprentissage a également pour rôle de fournir une matrice de structuration et d'évaluation des actes d'apprentissage, qui s'articule avec une grille d'évaluation des actions pédagogiques.

Pour que l'ingénierie de l'apprentissage soit intégrée dans la culture universitaire, la condition est que celle-ci s'ouvre à l'idée de poser en premier le projet d'apprendre de l'étudiant, avant la production de savoir...

Quand l'Université s'éveillera....

Ce qui revient à l' Université - et qu'elle est seule à pouvoir faire - c'est entrer dans la logique du vivant , c'est-à-dire se placer dans un couplage avec son environnement et avec elle-même. En d'autres termes, il lui revient de se positionner au niveau de la triple logique des systèmes vivants : régulation, adaptation et évolution. C'est dans cette triple logique qu'elle trouvera la voie (la voix) de la complémentarité et la dynamique du changement auquel tous les partenaires sont invités à contribuer et dont ils doivent bénéficier aussi.

L'heure est à la démarche du "tiers cherché" , cette troisième voie qui permet l'évitement des pièges, le changement de regard, l'entrée en veille épistémologique sur la nature, le rôle et le statut de l'acte d'apprendre. L'heure est venue de s'ouvrir à la dynamique fondatrice qu'est le questionnement : comment enseigner l'élan complexificateur qui est la loi de la vie... ?

Le champ des possibilités est immense, à condition que le regard change.

Changer de regard, c'est un premier pas vers le changement de comportement. Ce pas consiste essentiellement à renoncer à quelques certitudes, à la conception monolithique et statique de la cognition et du langage, à la conception linéaire de l'appropriation et de la compréhension, à la conception d'un monde pré-établi, extérieur, à la conception dualiste des problèmes (vrai / faux, blanc / noir ...), à la conception non-dynamique de l'erreur et à la conception uniquement sommative de l'évaluation.

Remplacer ces certitudes par ce que nous suggèrent les recherches aujourd'hui : pluralité des rythmes, des mémoires, des lectures, des intelligences, des types de compréhension ; existence de quatre grammaires de la langue : deux grammaires de la langue écrite (écriture et lecture), deux grammaires de la langue orale (parole et écoute) ; relation ininterrompue de l'action et de la perception qui, l'une ET l'autre, élaborent l'histoire de notre couplage à l'environnement ; accepter d'admettre que notre perception crée notre vision du monde, de voir dans l'erreur un écart à la norme demandée mais aussi un indice du processus suivi, de la stratégie adoptée, de la ressource utilisée.

Il ne s'agit plus d'instruire, mais d'enseigner à apprendre et à se questionner .

En d'autres termes, de garantir le droit et le devoir d'apprendre.

Reste une dernière question à poser :

" si l'Université ne remplit pas son rôle, qui le fera ?"

HÉLÈNE TROCMÉ-FABRE


Notes et références
[1] Phrase prêtée à Hillel l'Ancien, à Pline le Jeune et à Guillaume d'Orange...
[2] J.L. Le Moigne cite l' affaire du sang contaminé, résultat tragique de l'application "scrupuleuse" des connaissances enseignées sur la gestion des stocks (cf témoignage du Dr Garetta son procès)
[3] signifiance (ici) : capacité à faire émerger le sens
[4] selon l'expression de F. Varela
[5] cf les ouvrages de Paul Virilio, en particulier L'inertie polaire, Christian Bourgois, 1990
[6] Je préfère considérer, pour ma part, qu'il s'agit d'un "non-encore apprentissage".
[7] L'autonomie est un thème abordé dans les films de la série Né pour apprendre, par F. Varela, A. Jacquard, B. Schwartz.
[8] Expression du psychologue Herbert Gerjuoy, cité par Alvin Toffler dans "Le choc du Futur"
[9] Il s'agit des travaux de Lassen, Edelman, Tsunoda, J. Sergent,... qui, grâce aux progrès de l'Imagerie médicale permettent de ne plus déduire le fonctionnement cérébral de la pathologie ou des études post-mortem. Cf J'apprends, donc je suis, Ed. d'Organisation, 1987, Poche1994
[10] Ces concepts sont présentés dans les films Né pour apprendre et dans l'ouvrage J'apprends, donc je suis
[11] Le concept de référentiel est développé dans L'arbre du savoir apprendre, vers un référentiel cognitif, Edition Librairie Etre et connaître, 1996
[12] cf F. Varela, Invitation aux sciences cognitives, Seuil, 1996, et son intervention dans Né pour organiser
[13] cf les apports d'E. Morin, J.L. Le Moigne, B. Nicolescu, F. Varela, ...
[14] S. Lupasco, épistémologue et philosophe des sciences. parmi ses ouvrages, L'énergie et la Matière vivante, ed. du Rocher, 1987 et L'Homme et ses trois éthiques, Le Rocher, 1986
[15] cf de B. Nicolescu, La Transdisciplinarité, Manifeste, Ed. du Rocher, 1996
[16] Né pour apprendre, vidéogramme en 7 séquences, réalisation D. Garabédian, PRIAM, ENS Fontenay St Cloud. Auteur : H. Trocmé-Fabre. 1. Né pour découvrir 2. Né pour reconnaître les lois de la vie 3. Né pour organiser 4. Né pour créer du sens 5. Né pour choisir 6. Né pour innover 7. Né pour échanger.
[17] F. Varela, dans Né pour créer du sens , propose de remplacer " capter l'information" par "couplage", "traitement de l'information" par faire émerger du sens", "'acquisition des connaissances" par "entrer dans un chemin de transformation"
[18] cf en Annexe une proposition d'éléments pour l'élaboration d'une Charte


Congrès de Locarno, 30 avril - 2 mai 1997 : Annexes au document de synthèse CIRET-UNESCO


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