MICHELE ET ROBERT MONTRELAY

Une approche des modèles freudiens et de leurs relations avec les sciences physiques

Thèse présentée par François Verdier


La thèse de François Verdier, Une approche des modèles freudiens et de leurs relations avec les sciences physiques, montre avec beaucoup de clarté et de précision l'évolution de la démarche de Freud dans son rapport avec la science de son époque. En effet, tout au long de son oeuvre, Freud s'est servi des modèles et des analogies scientifiques pour penser et mieux faire comprendre le fonctionnement de l'appareil psychique. En premier lieu, sa formation de neuropsychiatre l'a conduit à chercher un modèle neurophysiologique pour expliquer les phénomènes psychiques dans son texte intitulé " Esquisse d'une Psychologie Scientifique " (1895).

François Verdier démontre, en s'appuyant sur le texte de Freud, que, bien que ce dernier ait provisoirement renié l'Esquisse (en raison de l'approche par trop anatomique de son modèle), il n'a pas cessé de s'y rapporter, d'abord dans sa correspondance avec Fliess, puis dans " La Science des Rêves ", et dans ses oeuvres ultérieures, celles qui développent sa " seconde topique " notamment. Ce modèle distingue en effet trois régions (moi, ça, surmoi) constitutives de l'appareil psychique. Habitués à le décoder avec notre logique quotidienne, nous pouvons en venir à penser que ces régions bien distinctes forment un " système de systèmes ". La lecture que François Verdier fait de la théorie freudienne (et qu'il nous permet de faire puisqu'il en cite de larges extraits), nous découvre un autre point de vue. L'ensemble ça-moi-surmoi, ou encore l'ensemble inconscient-conscient tels que Freud les a pensés consistent en réalité en un "unique système" dont les parties, plus ou moins investies selon le temps et les situations, sont les projections différentes d'une seule réalité. Ainsi :

" Essayons maintenant de redresser quelques notions qui risquent d'avoir été mal comprises, parce que, pour simplifier, nous présentions deux systèmes comme deux régions à l'intérieur de l'appareil psychique (Š) Lorsque nous disons qu'une pensée inconsciente s'efforce de se faire traduire en préconscient pour pénétrer ensuite de force dans la conscience, nous n'entendons pas par là qu'il y a formation d'une seconde idée, située dans un autre lieu, quelque chose comme une transcription, à côté de laquelle subsisterait le texte original. Nous n'entendons pas non plus que pénétrer dans la conscience implique un changement de lieu (Š) Laissons là ces images et disons, ce qui parait plus près de la réalité, qu'une certaine énergie a été investie ou a été retirée à une organisation, de telle sorte que la formation psychique a été contrôlée par une instance ou a été soustraite à son pouvoir. Ici, de nouveau, nous remplaçons un mode de représentation topique par un mode de représentation dynamique ; ce n'est pas la représentation psychique qui nous parait changer mais son innervation. " (Traumdeutung, p. 517/18).

Et François Verdier de préciser :

" Représentation dynamique, mais aussi économique ; il s'agit d'investis-sements, de répartitions, de quantités ; on en revient aux problématiques de l'Esquisse qui seront présentes sous d'autres formes dans toute l'œuvre. "

Mais l'intérêt de ce travail ne saurait se limiter au recensement des modèles scientifiques dont Freud s'est servi ; il ne s'arrête pas non plus au seul fait que, tout au long de sa vie et de ses recherches, l'inventeur de la psychanalyse a cherché dans le domaine de la physique des analogies avec l'organisation du psychisme. L'enjeu majeur de cet ouvrage est de montrer qu'à travers l'usage d'une série variée de modèles (optique, topique, énergétique, dynamique), il y a un point de vue commun au physicien et au psychanalyste. En effet l'un comme l'autre raisonnent comme si l'observation des faits devait s'expliciter selon non pas un mais plusieurs modèles théoriques apparemment contradictoires entre eux. Ainsi, pour rendre compte des propriétés de la lumière, le physicien utilise alternativement les théories ondulatoire et corpusculaire. Les équations mathématiques dont il se sert ne sont pas censées représenter sur un mode univoque la réalité physique. Elles sont prises comme des outils abstraits qui rendent compte au mieux de certaines de ses propriétés. De ce fait l'incompatibilité de ces modèles entre eux est laissée de côté. De la même façon, Freud se sert de modèles successifs sans s'inquiéter de leur possible antagonisme.

Le psychanalyste contemporain a tout intérêt à méditer sur cette façon freudienne de procéder, si constante qu'on peut parler d'une méthode à son sujet. À notre sens il ne peut faire avancer la théorie sans l'adopter. À son tour d'utiliser notamment les modèles physiques contemporains pour mieux préciser certains types de formations de l'inconscient (par exemple la théorie quantique du saut permet de mieux saisir la nature du refoulement). À son tour de suivre Freud dans la distance qu'il prenait vis à vis de ses modèles. Ceux-ci restent des outils, rien que des outils qui, passées certaines limites perdent leur pertinence. Mieux comprendre le psychisme à l'aide de la physique ne signifie nullement qu'il y ait isomorphisme entre eux.

MICHELE MONTRELAY
psychanalyste

ROBERT MONTRELAY
ancien élève de l'Ecole Supérieure de
Physique et Chimie de la Ville de Paris


Bulletin Interactif du Centre International de Recherches et Études transdisciplinaires n° 7-8 - Avril 1996

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