Jean-LucMartin-Lagardette
SĠil estdomaine auquel la logique du tiers inclus (T) peut tre propice, cĠest biencelui des mdias dĠinformation. En effet, quoi de plus bnfique, non seulementpour cette profession mais aussi pour la socit toute entire, quĠunemthodologie permettant aux descriptions et explications journalistiques deprogresser en vrit, justesse et quit ? De coller encore plus prs laralit de notre condition humaine ?
Avant de dduirede la logique du tiers inclus (T) quelques prceptes pouvant sĠappliquer toutproducteur dĠinformations dĠactualits, rappelons brivement en quoi consistecette logique formalise par Stphane Lupasco et complte par BasarabNicolescu.
Stphane Lupascoa nonc ainsi
Ç A toutphnomne ou lment ou vnement logique quelconque, et donc au jugement quile pense, la proposition qui l'exprime, au signe qui le symbolise : e, parexemple, doit toujours tre associ, structuralement et fonctionnellement, unanti-phnomne ou anti-lment ou anti-vnement logique, et donc un jugement,une proposition, un signe contradictoire : non-e ; et de telle sorte quee ou non-e ne peut jamais quĠtre potentialispar lĠactualisation de non-e oue, mais non pas disparatre afin que soit non-e soit e puisse se suffire lui-mme dans une indpendance et donc une non-contradiction rigoureuse (commedans toute logique, classique ou autre, qui se fonde sur lĠabsoluit duprincipe de non-contradiction). È
Observons djque la logique du contradictoire ne sĠapplique pas seulement des propositionscomme celles des logiques classiques mais tout ce qui peut constituer undynamisme : phnomnes, lments, vnements, associs leurs"anti-phnomnes", "anti-lments","anti-vnements".
Impliquer etexclure la fois
Notons galementque cette logique met en question lĠabsoluit du principe aristotlicien denon-contradiction (A nĠest pas non-A), qui reste bien sr toujoursoprationnel, mais seulement certaines conditions ou selon certains niveauxde ralits (cf. B. Nicolescu).
Ainsi, si l'attraction (A) s'actualise, la rpulsion (-A) se potentialise,
si l'units'actualise, la diversit se potentialise,
si l'identits'actualise, la diffrence se potentialise,
si l'entropies'actualise, la nguentropie se potentialise,
si le continus'actualise, le discontinu se potentialise, etc. È
Parmi tous lesdegrs intermdiaires d'une actualisation/potentialisation, un momentd'quilibre peut exister, o deux actualisations inverses sont galit ets'annulent. Lupasco appelle ce moment contradictoire : tat-T,"T" comme "Tiers inclus".
Pour imagercomment concevoir (T), autrement dit comment accepter intellectuellement un 3eterme qui est la fois A et non-A, prenons lĠexemple clbre de la dualitonde-corpuscule, principe selon lequel les objets de l'univers microscopique seprsentent simultanment comme ondes et particules.
Ce concept, quifait partie des fondements de la mcanique quantique, nous oblige dpasser(sans lĠabolir) notre conception traditionnelle de lĠobservation et de laconnaissance, qui a permis le grand essor des sciences et de la technologie. Etqui perdure dans le sens commun.
Nos vritssont biodgradables
Dsormais, lacontradiction entre deux tats ou deux affirmations nĠest plus forcment signedĠerreur (principe du Òtiers exclusÓ), mais signale deux aspects diffrentsdĠune mme ralit dont lĠapparence dpend du regard quĠon porte sur elle et duniveau dĠobservation o on se place.
La rationalitclassique est mise mal. (T) nous dit entre autres choses que lĠon peut plusprtendre tout calculer ni tout prvoir. Toujours quelque chose nous chappe etnous chappera. Nul ne peut plus prtendre tout observer et matriser en mmetemps. Et rien nĠest dfinitivement fixe.
CĠestlĠapprentissage de lĠhumilit face desphnomnes qui, si nous les comprenons de moins en moins mal, nous chappentcontinuellement. Chaque vrit dĠun jour peut tre dpasse par une vrit dulendemain qui, sans pourtant la rejeter, la rapetisse et la borne.
Nos vritsscientifiques, selon le mot dĠEdgar Morin, sont ÒbiodgradablesÓ, parcequĠelles comportent toutes en elles un principe dĠentropie qui peut lesconduire la mort. CĠest pourquoi le sociologue prne lĠapprentissage de la pensecomplexe.
Et ce qui estvalable pour les sciences lĠest aussi pour le journalisme. Faut-il alors carrmentabandonner, comme le revendiquent la plupart de mes confrres, la qute de lavrit et le souci de lĠobjectivit, sous le prtexte quĠelles seraientinaccessibles ?
Ce serait allerun peu vite en besogne et jeter le bb avec lĠeau du bain. En fait, quĠil nĠyait plus de Vrit absolue ne nous empche pas de rechercher la vrit entoutes choses. Mais avec un esprit dĠouverture, de nuance et dĠhumilit, enreconnaissant nos limites et nos erreurs. Et en ayant toujours conscience dupoint dĠo lĠon parle et du primtre dont on parle.
Troisprceptes (T) appliqus au journalisme
La logique dutiers inclus nous invite cette volution. Elle peut nous aider concilierdes perspectives qui auparavant nous paraissaient incompatibles.
En journalisme,elle nous conduit suivre ainsi trois prceptes qui, sĠils taientsoigneusement appliqus, rvolutionneraient nos rapports sociaux etpolitiques :
- Premierprcepte : dans toute description, dans toute analyse, dans touteformulation prtendant fournir une connaissance, je chercherai dceler lacontradiction (au lieu de la fuir ou de lanier).
Et si je nĠen dnicheaucune contradiction, je rserverai un espace pour la signification oppose aumoins en potentialit. Cela ne mĠempchera pas de prendre ventuellement parti,mais je saurai toujours mnager la possibilit que lĠinverse de ce que je dissoit vrai. JĠaccueillerai galement tous ceux qui prtendraient mĠapporter lespreuves de mon erreur. Voici ce quĠcrivait Jean Piaget, philosophe etpdagogue suisse, il y a quelques annes : Ç (tre) objectif ne signifie pas toujours Òqui nglige lesujetÓ mais signifie toujours Òqui cherche viter les illusions de son moiÓen tudiant mthodiquement les ractions des autres È[3].
Je mĠefforcerai doncde connatre mes prsupposs, mes gots et mes rpugnances. Comme aime ledire Edgar Morin : Ç Il faut nous mfier de notre confiance, mais aussinous mfier de notre mfiance È. Et je serai attentif en premier lieu auxexpressions qui me gnent ou heurtent le plus mes conceptions.
- Deuximeprcepte, proche du prcdent : avant dĠen parler, je multiplierai lessources et les points de vue sur un mme fait. Je favoriserai le dbat surtoute question pour quĠaucune dimension nesoit oublie ou mise de ct.
JĠcouteraiautant les sources officielles que les acteurs contestataires, marginaux,diffrents, minoritaires ou proscrits. Tout en mĠefforant de hirarchiser leurimportance.
- Troisimeprcepte : je ne porterai pas de jugement moral sur les personnes
Journalistesphilosophes ?
Le journalistene devrait-il pas, lui aussi, tre un peu ÒphilosopheÓ, un juste
Ne pas jugernĠempche pas de critiquer des actes, ni dĠintervenir pour faire cesser le mal.Ne pas juger, cĠest se garder de tout verdict moral. Cela implique dĠtrecirconspect, dĠviter au maximum de blesser les personnes, et surtout de nejamais condamner.
LĠinjonction Ònepas jugerÓ, qui sĠadresse au journalisme citoyen, nĠest pas seulement uneexigence morale mais bien une obligation pour toute dmarche pistmologique quise veut honnte. Elle nat du constat que nous ne faisons, finalement,quĠapprocher la vrit sans tre srs de la possder. Nous savons dsormaisquĠil y a toujours au moins un germe de yin dans le yang et de A dans le non-A.
Et inversementÉ
Quoi de mieux,pour conclure, que de laisser la parole lĠinventeur de la relativit :Ç Agir intelligemment dans les affaires humaines nĠest possible que silĠon tente de comprendre les penses, les motivations et les apprhensions deson adversaire dĠune manire si complte que lĠon pourra voir le monde travers son regard È