Georges GUELFAND est Diplm de Lettres et de psychologie clinique ; formation en psychothrapie et psychanalyse ; expert reconnu des tudes qualitatives, Georges Guelfand est Directeur Gnral de Synovate France (2005-2009) aprs avoir t Directeur Associ dĠIPSOS INSIGHT MARKETING (1996-2000). Enseignant et auteur de deux ouvrages Ç Les Tribus Ephmres È Ed. EPI (1973) ; Ç Paroles dĠ images - les techniques projectives appliques aux tudes marketing È, Gatan Morin Ed. (1999)), il intervient rgulirement dans la presse professionnelle. |
Interview ralis par Pierre Desmet
Mr Guelfand, je vous remercie dĠavoir trouv un peu de temps dans votre agenda charg. Quel regard portez-vous sur la situation actuelle ? |
AujourdĠhui, face la crise qui frappe notremodle conomique et face aux progrs des sciences et des nouvellestechnologies, de vritables mutations touchent les entreprises ; nonseulement les structures et le management, mais aussi les modles du marketinget de la communication.
Ces changements ne pouvaient manquer deconcerner les tudes qualitatives, mme si celles-ci nĠavaient pas attendu lesannes de crise pour voluer en permanence.
Peut-tre pourriez-vous dĠabord dfinir les objectifs poursuivis lorsque lĠon fait appel une approche qualitative ? |
Le qualitatif nĠa, bien sr, pas vocation mesurer, cĠest le rle du quantitatif. On lui demande plutt de donner des clspour mieux comprendre et pour anticiper les comportements dĠachats et deconsommation. CĠest aussi une dmarche permettant dĠamliorer les offres dĠuneentreprise en sĠappuyant sur la crativit des individus. En bref :comprendre, valuer, crer.
Peut-on vraiment considrer que les apports du qualitatif sont fiables ? aprs- tout ce nĠest que lĠavis de quelques consommateurs interprts par le biais subjectif dĠun charg dĠtudes ? |
Je retrouve bien l ton biais de quanti !La puissance du qualitatif cĠest la capacit de recoupement : ce nĠest pasune phrase ou un comportement isol qui est analys mais bien la cohrence descomportements dĠun individu. Sur un autre plan, grce la dynamique de groupe,lĠanimateur peut faire jouer le pour le contre, et se rsoudre lescontradictions.
Et puis le qualitatif se diffrencieradicalement du quantitatif. Si celui-ci Ç compte
Pouvez-vous faire un panorama des tudes qualitatives ? On a parfois lĠimpression dĠun inventaire la Prvert avec des mthodes spcifiques voire exclusives certains instituts É |
En effet, retracer les volutions des tudesqualitatives nous permettra de mieux comprendre les enjeux des mutations encours. Cependant il faut bien comprendre quĠ partir de lĠide dĠune mthode ilfaut ensuite de nombreuses annes pour la mise au point et la diffusion auxtudes marketingÉ prs de 15 ans pour les techniques projectives appliques aumarketing. Ces raffinements ont permis de rendre nos tudes plus fiables, plusefficaces et plus conomiques.
les tudes de motivations
Le qualitatif, entendu comme discipline,prtait alors – mais encore aujourdĠhui – de nombreusescritiques. Comment se fier aux dires dĠun consommateur, puisquĠil existe undcalage manifeste entre ce quĠil dclare et ce quĠil pense et ressent ?entre ce quĠil exprime et ce quĠil fait dans la ralit de ses comportementsdĠachat et de consommation ? De nombreux biais taient reprochs lamthode de lĠentretien : celui des rationalisations, celui du conformismesocial, et les biais de contexte.
Les techniques projectives
Les techniques projectives permettent de fairese manifester les motivations inconscientes des consommateurs ; deverbaliser, de faon image, leurs craintes et leurs attentes. Elles ont eupour vertu de briser les strotypes, les lieux communs, les fausses opinionsqui sont le rsultat trop frquent des techniques de groupes classiques ;ceci pour tre au plus prs des ressentis et des motions des consommateurs.
Cela claire dĠun jour nouveau lescontradictions inhrentes tout acte dĠachat et de consommation
Les tudes qualitatives devinrent etdemeurent motionnelles et anticipatrices.
Les techniques bases surlĠapport des sciences cognitives. CĠest la priode des annes 80 avec ledveloppement des sciences humaines, lĠeffervescence des disciplines ddies lĠanalyse des mcanismes rgissant les conduites des individus. Les tudesqualitatives participrent de cette effervescence, en intgrant lesenseignements des sciences cognitives : non seulement de lapsychanalyse ; mais aussi de lĠanthropologie et de lĠthologie (
Le qualitatif devint, et demeure, intgratifet transdisciplinaire.
CĠtait alors lĠpoque dĠune certaine opposition Ç quali-quanti È, le quanti se structurant grande chelle, sophistiquant ses mthodes par lĠarrive de lĠanalyse des donnesÉ Une priode bnie de positionnement, de segmentation, dĠinnovation produit continue É |
Oui et ce contexte a fait que ces volutionsdes techniques nĠont pas suffit, elles seules, pour faire en sorte que lestudes qualitatives soient dfinitivement reconnues comme discipline partentire et comme outil efficace dĠaide la dcision en marketing.
CĠtait alors aussi le rgne du cognitivisme, un homme rationnel, optimisant toutes ses actions, sa recherche dĠinformation, possdant une fonction de valorisation des attributs qui le conduisait avoir des prfrences stables É |
Tout fait, mais depuis une quinzainedĠannes, cette approche purement cognitiviste vole en clat. Les travaux desneurosciences valident le paradigme de lĠinconscient qui fut au fondement de lamthode qualitative ; un inconscient qui dtermine la plupart de noscomportements dĠachat et de consommation. G.M. Edelman, prix Nobel deMdecine le dit explicitement : Ç les ides de Freud sur les sourcesinconscientes du comportement taient prmonitoires.
LĠmotion en remplacement de la raison ? |
Non, les deux la fois. La division de lapsych entre raison et motion nĠa pas de fondement biologique. Lesneurosciences disent : Ç le cerveau et le corps sont partenaires
Ces travaux confortent nos approchesprojectives, car celles-ci mettent le consommateur en situation de laissersĠexprimer sur un mode sensible, sans plus rationaliser, la vrit de sesattentes.
Le travail projectif, verbal et non verbalamplifie le dconditionnement des consommateurs et libre une parolemotionnelle. Il permet aussi de traiter dans une mme dmarche un grand nombrede variables – un mix complet par exemple -. Il permet surtoutdĠamliorer les projets marketing et de communication soumis lĠtude.
En plus, comme je lĠindiquais tout lĠheure,le qualitatif ne permet pas seulement de comprendre et dĠvaluer, il est devenusource dĠinspiration pour le marketing et pour la cration.
Internet, lĠexternalisation des taches de traitement voire dĠanalyse, bouleversent les tudes quantitatives que ce soit en adhoc ou en tudes longitudinales (panels), que ce soit dans la saisie, dans lĠanalyse ou dans lĠaccs aux donnes par le clientÉ Quelle est la situation pour le qualitatif ? |
Les forces lĠoeuvre sont les mmes dans lesdeux domaines. Les deux phnomnes qui nous ont obligs repenser nos mthodessont (1) la fin dĠun cycle dans lĠconomie et pour le marketing et (2) lesprogrs fulgurants des nouvelles technologies.
(1) La fin dĠun cycle pour le marketing
Il nous fallut alors assimiler les travaux dela smiotique et de lĠethnomthodologie, et crer de nouvelles mthodes derecueil et dĠanalyse ; mthode dĠobservation participante (
Les tudes en sensoriel (pour tudier unparfum, une saveur, une textureÉ) participent dĠun tel recentrage sur lesexpriences corporelles des consommateurs et leurs vcus.
Dans de tels contextes, les progrs de laphoto-vido nous permettent aujourdĠhui dĠenregistrer les comportements,gestuelles, expressions des consommateurs in situ, et dĠanalyser leurs attentesau plus prs de leurs motions.
Les tudes qualitatives deviennent plusvisuelles, plus dmonstratives, et plus inspirantes pour le marketing, lacration, la R&D.
(2) Les progrs fulgurants des nouvellestechnologies Un second courant traverse le qualitatif ; mouvementparadoxal qui consiste non plus aller au plus prs des ractions corporellesdes interviews, mais au contraire les interroger distance, via internet.Internet ne cesse dĠoffrir de nouvelles perspectives aux tudesqualitatives : blogging, netnographie, focus group online, forums etcommunity panels, management de lĠinnovation online.
CĠest rflchir sur leurs avantages et leursinconvnients, et sur leur contribution au marketing quĠinvitent ces nouveauxinstruments.
Internet et la gratuit, la faiblesse des cots de contacts, la rduction des cots de collecte et dĠanalyseÉ le monde rv pour une baisse des cots ? |
Oui mais pas seulement. Ces nouveauxinstruments conduisent au dveloppement de nouvelles mthodes qui permettent detravailler, de faon rapide et efficace, souvent impliquante et ludique.Internet offre en effet de nombreux avantages : á la facilitation delĠexpression personnelle de lĠinterview, saisi dans lĠintimit de ses rponses
á la rapidit et laflexibilit des interviews, et la simultanit des changes á la capacitdĠatteindre des cibles difficilement accessibles, en tout point gographique
á la possibilit de raliserdes tudes longitudinales sur de grands chantillons
á la possibilit de recevoirphotos, montages, mood et bulletin-boards, vidosÉ toutes productions verbales,non verbales, et cratives ; sources de commentaires et dĠanalyses etdĠinspiration pour le marketing.
á la possibilit de crer desinteractions entre consommateurs et clients ; de faire participer cesderniers, sur le terrain, aux interviews.
Mais avec Internet on va vers le virtuel, nĠest-ce pas traiter un monde idalis, sans contact vritable, o les rpondants se choisissent des avatars pour mieux vivre dĠautres vies É |
Des inconvnients, Internet en a en effet. . Un premier inconvnienttient la perte de contact physique avec le consommateur
.Le second inconvnient delĠtude on-line est dĠappauvrir la dynamique des interactions entreinterviews. Il est en effet difficile de prserver le caractre dynamiqueet ludique de lĠinterview en salle ; tout particulirement en focus-grouponline. CĠest pourtant cette dynamique et cette ludicit des interactions quicrent le lien entre ce qui est dit et ce qui est prouv en le disant. CĠestcette dynamique qui permet, dans lĠimmdiatet des rponses, de pratiquer leÇ renversement du pour au contre È, ncessaire la validation desopinions et des vocations mises.
. Enfin, il nous paraitindispensable de penser autrement les mthodes dĠanalyse des productions viainternet.Celles-ci sont en effet dĠune quantit et dĠune diversit de niveaux telles quelĠanalyse classique ne saurait suffire. CĠest en cela que le qualitatif aura deplus en plus besoin dĠanalystes, non seulement dĠune grande exprience desmthodes du pass, mais aussi dĠune grande capacit dĠinnovation : lesconclusions et les recommandations que lĠon peut tirer dĠune tude on-linencessitent une telle capacit ; la solution pouvant rsider dans unepassionnante collaboration entre gnrations.
Et la crativit ? |
Les inconvnients dĠInternet sont,partiellement, compenss par le grand nombre de documents, de supports visuelsque peuvent produire les internautes. Cette capacit de production correspond lĠorientation actuelle du qualitatif, qui consiste prendre le consommateurcomme partenaire dĠune tude, et se relier son environnement, ses modes devie, et ses pratiques dĠachat et de consommation. A nouveau, il sĠagira defaire preuve dĠinventivit pour rendre cette richesse productive dĠinternetintelligible et oprationnelle pour lĠentreprise.
LĠEldorado pour les utilisateurs des tudes ? |
On pourrait effectivement le croire mais leon-line prsente un inconvnient difficilement surmontable pour certainestudes, celui de ne pas pouvoir travailler sur un nombre important devariables : á par exemple un large corpusde communication – en presse, affichage ou TV
á ou un mix complet : parexemple les design / format / premire de couverture / sommaire / textes /illustrationsÉ dĠun ouvrage scolaire
á ou un linaire :comportant par exemple lessives en poudres / tablets / liquide / gelÉ de tousformats et de toutes marques
á ou bien encore un espacemarchandÉ
Cet exercice sera dĠautant plus difficilequĠil sĠagira dĠanalyser et dĠorienter un mix marketing et communication dansson univers concurrentiel. LĠinterview projective reste au final la mthode laplus performante pour analyser la pertinence de tels objets, indiquer leursconditions de bon fonctionnement et tracer leurs voies dĠoptimisation.
Avec votre recul et votre exprience, quel futur entrevoyez-vous ? |
DĠabord la transdisciplinarit (
On peut faire le parallle entre leconsommateur en tant que sujet, et lĠinstitut. Du ct du sujet, celui-ci estdsormais considr comme shopper, client, lecteur, voyageurÉ saisi dans sesconduites intimes, sociales et marchandes. LĠtude qualitative clbrera ici,selon lĠexpression de Tsodorov, Ç lĠloge du quotidien È. Du ct delĠInstitut, les changements sont aussi importants.
De plus en plus impliqu dans lesproblmatiques marketing des entreprises, lĠInstitut devra se rformer endevenant la fois : . Transdisciplinaire du ctde ses expertises en linguistique en imagerie, en systmique, É mais aussi duct de ses expertises marketing et stratgiques
. Technologique, ne pouvantdsormais se passer de lĠexistence dĠun laboratoire multimdia.
. Exprimente, pour rendrefiables les traitements et les recommandations des tudes on-line.
. Partenaire, en nouant denouveaux liens avec les responsables des projets en dveloppement .
CĠest donc une nouvelle relation entreQualitatif et Marketing qui est instaurer.
Une relation qui implique que lesqualitativistes acceptent de ne plus dpendre des modes de fonctionnement etdes normes de rentabilit des grands Instituts multinationaux ; maisquĠils se pensent et sĠorganisent comme praticiens-conseils au service de leursclients, mme de rpondre leurs besoins de flexibilit et de rentabilit,de disponibilit et dĠaccompagnement – besoins irrversiblescorrespondant aux mutations du temps prsent.
Vous participez depuis de nombreuses annes la formation des tudiants du Master Marketing (204) de Paris-Dauphine. QuĠest-ce que cela vous apporte ? |
Tout dĠabord un challenge passionnant
Ensuite, cet enseignement me donne lĠoccasionde rviser certaines conceptions du mtier ; avec des exigences dans lafaon de communiquer et de rpondre aux attentes de jeunes gnrations.
Enfin, lĠenjeu est pour moi de faireressentir et comprendre, ce public en attente de clart et dĠefficacit, que lequalitatif nĠest pas une discipline irrationnelle, peu fiable, soumise auxinterprtations subjectives de quelque Ç guru Ç ; mais unemthode aux fondements rationnels, ayant ses propres logiques, et structurepour rpondre aux problmatiques marketing, et pour accompagner lĠinnovation enentreprise.
Directeur Gnral de Synovate France (2005-2009), Fondateur et prsident de QCG – the qualitative consulting group – (2001-2005), Co-fondateur et Directeur Gnral de la socit INSIGHT,(1971-1996), Co-fondateur et Directeur du Centre de Psychologie Exprientielle TRIBU( 1972-1990)É vous tes un vritable entrepreneur ! |
Sans doute ai-je toujours considr quediriger et manager sa propre socit rend mieux mme de comprendre les enjeuxdes entreprises qui nous confient leurs problmatiques ; cela rend aussimieux mme dĠvaluer les conseils que lĠon peut donner ses clients.
En dehors du fait de crer de la valeur,entreprendre cĠest aussi le plaisir de crer ensemble ; le plaisir deÇ percevoir de lĠinconnu, du surprenant, du neuf dans le connummeÉ È.(
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LĠethnomthodologie– Ed. La Dcouverte (2001)
G.M. Edelman - La sciencedu cerveau et la connaissance – Ed. Odile Jacob (2007)
Isaksen, Scott G, Dorval, KBrian ¤ Donald J Treffinger – Rsoudre les problmes par la crativit.-Ed. Organisation (2003).
Swiners JL ¤ JM Briet –LĠintelligence crative au-del du brains-storming. Ed. Maxima (2004).
Michalko M.- Thinktoys. TenSpeed Press (2008)
Renck JL ¤ Servais V –LĠthologie, histoire naturelle du comportement. Ed. Le Seuil (2002).
Guillaume P –Psychologie de la forme Ed. Flammarion (1979). Fritz Perls – Manuel degestalt thrapie. Ed. ESF (2009).
Marty C ¤ Marty R – 99rponses sur la smiotique. Ed. CRDP. (1992)
Barthes R. – LĠaventuresmiologique Ed. Seuil (1985).
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Notes